Axe "Pensées et discours économique et gestionnaires"

L’atelier s’interroge, sur la cohérence interne de plusieurs approches d’économie politique, mais aussi sur leur pertinence empirique et sur leurs conditions d’influence pratique. Cette dynamique de recherche s’inscrit dans la réflexion du CRIISEA sur la notion de gouvernement et sur le rôle que jouent les savoirs théoriques. Elle conduit à élargir l’objet d’étude vers une économie politique des discours dont une démarche d’histoire de la pensée est considérée comme une composante.
Les recherches se concentrent sur trois grandes traditions théoriques : l’institutionnalisme historique, la pensée classique et des auteurs autrichiens (Hayek et Schumpeter plus particulièrement).

L’institutionnalisme historique, malgré sa diversité, peut, sur longue période (de l’école historique allemande à la théorie de la régulation), trouver une unité dans une analyse qui insiste sur l’historicité des règles et qui s’inscrit dans une approche de l’économie ouverte aux démarche et à la méthodologie de la sociologie et des autres sciences sociales. Cette perspective permet une intervention dans le débat contemporain en distinguant le monisme méthodologique de Duflo, du pluralisme d’Ostrom plus proche de la démarche institutionnaliste. De même, la notion d’encastrement tirée de Polanyi s’avère-t-elle utile pour interpréter nombre de pratiques présentes au sein de l’économie solidaire. Enfin, l’étude de l’influence de certains courants institutionnalistes dans certaines régions du monde permet de saisir la fécondité de ce type d’orientation, comme le montrent les travaux de Ivan Kinkel dans la première moitié du XXe siècle qui peuvent être interprétés comme une application à l’économie du développement du Schmollerprogramm.

L’approche classique relève d’une méthodologie spécifique qui semble plus éloignée des études empiriques et des études de cas préconisées par l’institutionnalisme historique. En se développant au XXe à partir de modélisations particulières, cette approche n’en constitue pas moins une grille d’analyse pertinente pour interpréter nombre de faits. Ainsi est-il possible de rendre compte de la tendance à la stagnation des économies développées contemporaines. De même, les travaux de Mill sur les coopératives peuvent-ils être utilement revisités dans le cadre d’une réflexion sur l’économie solidaire. La cohérence interne de cette approche classique peut être interrogée à la fois pour en saisir les caractéristiques propres et pour pouvoir la confronter à d’autres courants. Etudier les mécanismes de la répartition et de l’accumulation en déséquilibre permet de faire ressortir les caractéristiques de cette analyse, comme permet de l’enrichir l’étude des effets systémiques de différentes hypothèses concernant la formation des salaires.

L’analyse des traditions critiques en économie politique vise à étudier la façon dont les problèmes de coordination et de répartition ont été analysés, des mercantilistes aux théories critiques actuelles. Outre une interrogation sur la cohérence interne ces différentes traditions, la recherche, en commun avec l’atelier SAGES, étudie dans quelle mesure se dessine une autre forme de régime de vérité qui pense l’autonomie des populations selon des principes différents du libéralisme, seul régime de vérité considéré par Foucault.
Ainsi, l’extension de la théorie autrichienne (Mises, Hayek, Lachmann) d’une analyse de marché à une théorie des organisations et de l’entrepreneur révèle les problèmes et limites des approches de la coordination développées par ces auteurs. La théorie de Schumpeter, quant à elle, traditionnellement présentée comme une théorie de l’entrepreneur et de l’innovation, prend une signification nouvelle si on l’interprète en termes de théorie de la banque et de la monnaie conférant à la Banque centrale un rôle coordinateur essentiel. Plus largement, l’invocation d’une référence schumpétérienne en ce qui concerne la politique économique fait bien souvent l’impasse sur la dimension cognitive de l’analyse de Schumpeter et sur les réticences de ce dernier à l’égard d’applications non critiques de théories abstraites.
Une approche d’histoire de la pensée économique comparée, en outre, permet d’analyser les questions relatives à la diversité des formes nationales et civilisationnelles de la gouvernance et du gouvernement économique. Cette thématique de recherche réunit les chercheurs de différents pays (Angleterre, Italie, Hongrie, Russie, Bulgarie, Suisse, etc.). Elle questionne divers aspects théoriques et appliqués de la méthode comparée en histoire de la pensée économique. En particulier, la nature de la démarche devient beaucoup plus comparative notamment du point de vue géographique. Une des clés d’entrée réside dans la mobilisation de l’idée de "tradition monétaire », saisie non comme exception culturelle, mais dans une dimension conceptuelle. La tradition monétaire permet ainsi de comparer des traditions perçues comme à priori très éloignées (le monde russe, les pays arabo-musulmans, le monde asiatique, les pays africains etc.).
Enfin, l’histoire de la pensée et des pratiques monétaires, ainsi que l’histoire des représentations et des pratiques relatives aux finances publiques constituent une des thématiques de l’atelier. Les rapports entre institutions et monnaie, le rôle des banques centrales et la théorie monétaire de la comptabilité sociale (dans l’esprit des travaux de J. Schumpeter, E. Solvay, ensuite des économistes russes etc.) sont en particulier privilégiés. Ce programme de recherche s'inspire, au moins en partie, des contributions de Robert Torrens, revisité récemment par la théorie contemporaine classique de la reproduction.